«C’est avec les guerres du Congo des années 1990 que le pillage des forêts a véritablement commencé », dit René Ngongo Mateso. «Dans une situation d’absence de pouvoir étatique, les armées et les groupes rebelles se sont approprié l’est du Bassin du Congo pour financer leurs activités par la vente du bois de la forêt tropicale.» Les acheteurs étaient nombreux, le marché mondial est friand de bois tropicaux. Une trentaine d’entreprises internationales sont aujourd’hui «actives» dans la région.
René Ngongo Mateso est biologiste et spécialiste en écologie. Il vient de la RDC: «Chacun a son propre choc initial. La première fois que j’ai vu une photo satellite du Bassin du Congo, j’étais atterré. J’ai compris la gravité du pillage de la forêt. J’ai immédiatement pensé aux conséquences pour la population.» Ngongo Mateso coordonne l’Organisation concertée des écologistes et amis de la nature (OCEAN), une association congolaise de protection de l’environnement. Avec son compatriote Adrien Sinafasi Makelo, il a entrepris une tournée de conférences à travers le monde, pour faire connaître la situation qui règne en RDC.
Adrien Sinafasi Makelo est spécialiste en droits humains et président du réseau Pygmies Indigenous People Association Network (PIPAN), un regroupement qui représente les populations pygmées du Bassin du Congo: «La coupe de bois est toujours une violation des droits fondamentaux. Lorsqu’une entreprise investit une zone forestière, les villageois n’ont plus accès à la forêt. C’est une catastrophe, car la forêt est absolument vitale pour les habitants. Elle est comme le supermarché pour les Européens – et bien plus. La forêt nous fournit de la nourriture, des matériaux de construction, une centaine de plantes médicinales. Sans la forêt, nous sommes perdus.»
L’industrie forestière établit de nouvelles routes à travers la forêt, larges comme des autoroutes. Ngongo Mateso explique que ces routes sont un problème grave pour les peuples de la forêt, parce qu’elles créent des voies d’accès pour les braconniers, les groupes de rebelles et les armées qui menacent la population locale. En ville, les possibilités de subsister se dégradent, et les habitants des villes se tournent vers la forêt, avec ses plantes et ses animaux, pour survivre. Mais le vacarme des machines d’abattage fait fuir les animaux. Adrien Sinafasi Makelo: «La course au bois tropical bat son plein. Des intérêts globaux sont en jeu, la Chine s’est récemment associée à l’exploitation forestière. La vie de la grande forêt tropicale est bouleversée.»
En RDC, environ 40 millions de personnes dépendent directement de la forêt pour leur survie. Avec le soutien de la Banque mondiale, le gouvernement de Kinshasa approuve l’exploitation industrielle des forêts, censée réduire la pauvreté et promouvoir l’économie du pays. La Banque mondiale a établi un contrat entre les entreprises forestières et la population locale, pour que celle-ci profite également de l’exploitation de la forêt. Les entreprises sont souvent bien accueillies, puisqu’elles apportent des cadeaux et promettent de construire des écoles et des hôpitaux – mais elles ne tiennent pas leurs engagements.
Les villageois ne connaissent pas la valeur de la terre et du bois sur le marché occidental. Il est donc facile pour les entreprises forestières d’accéder à la forêt et à des concessions valant des millions, moyennant des dédommagements ridicules – par exemple des habits usagés, relate Ngongo Mateso. Les contrats sont rédigés uniquement en français, les habitants sont appelés à signer immédiatement. Adrien Sinafasi Makelo: «Les entreprises viennent en général accompagnées d’un agent de police et d’un représentant du gouvernement, les habitants n’osent donc pas s’opposer. Et quelques jours plus tard, des machines énormes s’enfoncent dans la forêt.»
Il existe des contrôleurs de l’Etat, mais leurs conditions de travail sont totalement inadéquates, explique René Ngongo Mateso. «Ils ont une pièce avec une table et une machine à écrire, c’est tout. Pas de voiture: ils doivent louer un vélo ou demander aux entreprises forestières de les emmener vers les zones de coupe. Quand ils veulent comparer les volumes de bois coupé avec les quantités déclarées par les firmes, on leur refuse l’accès aux pièces justificatives.» Adrien Sinafasi Makelo poursuit: «La Banque mondiale a connaissance de ces pratiques, mais elle n’entreprend aucune démarche auprès du gouvernement. Elle ne respecte même pas le principe qu’elle a elle-même défini, selon lequel aucun projet ne peut être autorisé sans l’approbation de la population locale. Et le moratoire de la Banque mondiale sur l’octroi de nouvelles concessions n’existe que sur le papier.»
L’exploitation forestière – légale ou illégale – se poursuit. La coupe est radicale en bordure de la forêt, et plus sélective à l’intérieur. En toute insouciance, les firmes s’attaquent notamment au sapelli: cet arbre très prisé sur le marché mondial abrite un type de chenilles qui est une source de protéines essentielle pour les peuples de la forêt. L’écorce du sapelli présente en outre des propriétés médicinales, notamment analgésiques et anti-inflammatoires, elle est aussi utilisée pour soigner la malaria. Si rien n’est fait, le deuxième système de régulation du climat de notre planète risque de disparaître.
Les bois tropicaux de la RDC seront abattus, tronçonnés et vendus sur le marché des pays riches. La destruction est extrêmement rapide. Il n’est pas possible de réparer les dégâts, même sur plusieurs générations. C’est pourquoi Ngongo Mateso et Sinafasi Makelo demandent à la communauté internationale de faire pression sur le gouvernement de la RDC, sur la Banque mondiale et les exploitants forestiers – dont Siforco, qui fait partie du groupe Danzer qui a son siège en Suisse. Les enjeux ne sont pas seulement la justice, voire la pitié – il en va de la survie de l’humanité sur notre planète.
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