«La nuit est froide, ce 17 janvier 1961, au Katanga… Dans la savane boisée, un endroit ouvert est illuminé par les phares des voitures de police. Un commissaire de police belge prend Lumumba par le bras et le mène jusque devant le grand arbre. L'ex-Premier ministre congolais marche avec difficulté: pendant des heures, il a été gravement maltraité. Un peloton d'exécution, fort de quatre hommes armés de Stenguns-Vigneron et de fusils-FAL, se tient en attente, alors qu'une vingtaine de soldats, de policiers, d'officiers belges et de ministres katangais regardent en silence. Un capitaine belge donne l'ordre de tirer et une salve énorme fauche Lumumba.»
Le gouvernement belge de Gaston Eyskens était début 1961 le commanditaire et le bourreau du Premier ministre d'un pays africain indépendant. C'est ce qu'affirme sans détour le sociologue belge Ludo De Witte dans un livre très fouillé et bien documenté, L'Assassinat de Lumumba.
L'histoire des quarante dernières années du Congo s'est jouée entre le 30 juin 1960 et le 17 janvier 1961. Les événements dramatiques qui ont marqué les sept premiers mois de l'indépendance du Congo belge ont déterminé toute son histoire de 1960 à nos jours. Comme l'indique l'historien Elikia M'Bokolo, «la mort de Lumumba a apporté trente-deux ans de mobutisme à l'ex-Zaïre.» Un système démocratique bien installé a été renversé, auquel on a substitué un pouvoir dictatorial et néocolonial, soutenu par l'ancienne puissance colonisatrice, la Belgique, et les pays occidentaux. Un mouvement sécessionniste (Katanga, Sud-Kasaï) appuyé par ces derniers avec la complicité des Nations unies a gravement affaibli le premier gouvernement du leader nationaliste Patrice Lumumba.
C'est le 30 juin 1960 que le Congo-Léopoldville devient indépendant. Des élections ont eu lieu pendant le mois de mai, et ont été remportées par le Mouvement nationaliste congolais (MNC) de Patrice Lumumba. Il forme son gouvernement, qui obtient le soutien de la Chambre et du Sénat congolais. Le poste, honorifique, de président du pays revient au chef du parti Abako, Joseph Kasa Vubu. Le moment fort de ces journées demeure le discours prononcé par Lumumba. «Ce fut un discours incendiaire», se souvient, quarante ans après, le sociologue camerounais Romuald Fonkoué, «J'étais collégien à l'époque. Nous avions tous les oreilles collées aux récepteurs radios.» Dans son allocution qui n'était pourtant pas prévue, le nouveau Premier ministre dénonce la période coloniale et son corollaire de brimades, d'injustices, de racisme, puis il rejette l'idée selon laquelle l'indépendance a été octroyée à son peuple. Il annonce aussi haut et fort son projet politique: «Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir les lois d'autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.»
Le gouvernement de Lumumba, qui commence aussitôt à appliquer à la lettre son programme nationaliste - notamment en africanisant son armée -, inquiète l'ancien colonisateur. Le 5 septembre 1960, le président Kasa Vubu, discrètement soutenu par la Belgique, démet le Premier ministre. Mais le Parlement soutient Lumumba. C'est le début d'un bras de fer. Le 14 septembre, profitant de ce conflit d'autorité, le colonel Mobutu, alors chef d'état-major, fait son premier coup d'Etat. Le Congo entre dans la période la plus trouble de son histoire.
Déjà, le 11 juillet, Moïse Tshombe a proclamé la sécession de la province la plus riche du pays, le Katanga, avec le soutien et la bénédiction de la Belgique, qui a envoyé des troupes au Congo. Lumumba fait appel aux Nations Unies: le Conseil de sécurité décide d'envoyer des Casques bleus à la place des soldats belges. Mais l'ONU, dirigée par le Suédois Dag Hammarskjöld se comporte comme un allié de l'ancien pays colonisateur. Commentant ces événements, De Witte écrit : «Bruxelles et les autres puissances occidentales opérant sous la couverture des Nations Unies voulaient à tout prix renverser le gouvernement nationaliste de Lumumba et installer un régime néocolonial, plaçant ainsi le pays à la merci des trusts et des holdings, qui, depuis des décennies déjà, le dominaient.»
Lumumba, qui n'est pas dupe, décide de rompre avec Hammarskjöld à qui il écrit le 15 août: «Vous avez entièrement acquiescé aux exigences des Belges, formulées par la voix de M.Tshombe. Vu tout ce qui précède, le gouvernement et le peuple du Congo ont perdu leur confiance au secrétaire général des Nations unies.»
Le leader nationaliste devient l'homme à abattre. Le 26 août 1960, avant même que la Belgique ne songe à l'éliminer physiquement, la CIA met sur pied un plan visant à le tuer. Motif: il serait communiste et risquerait de devenir un second Fidel Castro. Puis, le 10 septembre, c'est au tour de Bruxelles de décider de «mettre Lumumba hors d'état de nuire». Les mots sont de Pierre Wigny, ministre des Affaires étrangères du royaume. L'opération «Barracuda» est lancée. Et le 6 octobre, Harold d'Aspremont Lynden, ministre belge des Affaires africaines, exige «l'élimination définitive de Lumumba.»
Quatre jours plus tard, Lumumba est placé en résidence surveillée à Léopoldville. Le plan de la CIA et l'opération «Barracuda» des Belges sont alors annulés. Mais le 27 novembre et contrairement à toute attente, le dirigeant congolais parvient à s'enfuir et cherche à rejoindre ses fidèles à Stanleyville. Les soldats de Mobutu se lancent à sa poursuite. Dès lors, les jours du leader nationaliste sont comptés. Il lui reste à peine plus de cinquante jours à vivre. Sa fuite prend fin le 2 décembre. Et le 17 janvier 1961, il est assassiné au Katanga.
Quel rôle a joué la Belgique dans ces événements? De Witte accuse d'abord l'ONU de n'avoir pas empêché l'arrestation du dirigeant congolais, qui bénéficiait pourtant de l'immunité parlementaire. Ensuite, il accuse la Belgique d'avoir ordonné le transfert de Lumumba et de ses deux proches collaborateurs, Mpolo et Okito, vers le Katanga, ce qui signifiait leur arrêt de mort. Enfin, il dénonce la responsabilité de l'ancienne puissance coloniale, à travers les officiers belges, dans l'exécution du crime.
Quelques semaines après le meurtre de Lumumba, le ministre belge des Affaires étrangères nie toute implication de son pays. Si des Belges y ont pris part, - laisse-t-il entendre à la Chambre belge en février 1961, ils étaient sous les ordres des autorités congolaises et non de Bruxelles: «Ce n'est plus notre Congo, mais le Congo indépendant qui décide de son destin. Ces officiers [belges, ndlr] dépendaient, au point de vue du pouvoir hiérarchique, de l'autorité locale.» C'est ce que soutient Jacques Brassinne dans sa thèse de doctorat confidentielle présentée en 1991. D'après lui, «à aucun moment un officier ou sous-officier belge n'était intervenu dans la liquidation physique.»
De Witte s'oppose catégoriquement à cette version des faits. Selon lui, «la réalité est bien différente.» Il cite à cet effet une note confidentielle du major Weber, un des acteurs belges du drame, dans laquelle ce dernier dira quelques mois plus tard: «1. Je suis officier. Il est évident que si le gouvernement me donne un ordre, je n'ai qu'à m'incliner. 2. J'ai toujours fait savoir que je me considérais ici comme défendant une ‹présence belge› en Afrique.»
Le sociologue belge accuse: «Ce sont bien des conseils belges, des directives belges et finalement des mains belges qui ont tué Lumumba…Le gouvernement belge de Gaston Eyskens est directement responsable de l'assassinat du Premier ministre congolais.» Il ajoute que la Belgique a bénéficié du soutien ou de la complicité de l'ONU et des États-Unis. De Witte accuse par ailleurs les autorités de son pays d'avoir «étouffé» pendant près de quarante ans la vérité: «Une fois le gouvernement Lumumba éliminé, on a essayé d'arracher aux Africains l'histoire même de ce renversement… on a voulu empêcher que sa vie et son travail deviennent une source d'inspiration pour les peuples africains.»
Le gouvernement belge de Gaston Eyskens était début 1961 le commanditaire et le bourreau du Premier ministre d'un pays africain indépendant. C'est ce qu'affirme sans détour le sociologue belge Ludo De Witte dans un livre très fouillé et bien documenté, L'Assassinat de Lumumba.
L'histoire des quarante dernières années du Congo s'est jouée entre le 30 juin 1960 et le 17 janvier 1961. Les événements dramatiques qui ont marqué les sept premiers mois de l'indépendance du Congo belge ont déterminé toute son histoire de 1960 à nos jours. Comme l'indique l'historien Elikia M'Bokolo, «la mort de Lumumba a apporté trente-deux ans de mobutisme à l'ex-Zaïre.» Un système démocratique bien installé a été renversé, auquel on a substitué un pouvoir dictatorial et néocolonial, soutenu par l'ancienne puissance colonisatrice, la Belgique, et les pays occidentaux. Un mouvement sécessionniste (Katanga, Sud-Kasaï) appuyé par ces derniers avec la complicité des Nations unies a gravement affaibli le premier gouvernement du leader nationaliste Patrice Lumumba.
C'est le 30 juin 1960 que le Congo-Léopoldville devient indépendant. Des élections ont eu lieu pendant le mois de mai, et ont été remportées par le Mouvement nationaliste congolais (MNC) de Patrice Lumumba. Il forme son gouvernement, qui obtient le soutien de la Chambre et du Sénat congolais. Le poste, honorifique, de président du pays revient au chef du parti Abako, Joseph Kasa Vubu. Le moment fort de ces journées demeure le discours prononcé par Lumumba. «Ce fut un discours incendiaire», se souvient, quarante ans après, le sociologue camerounais Romuald Fonkoué, «J'étais collégien à l'époque. Nous avions tous les oreilles collées aux récepteurs radios.» Dans son allocution qui n'était pourtant pas prévue, le nouveau Premier ministre dénonce la période coloniale et son corollaire de brimades, d'injustices, de racisme, puis il rejette l'idée selon laquelle l'indépendance a été octroyée à son peuple. Il annonce aussi haut et fort son projet politique: «Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir les lois d'autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.»
Le gouvernement de Lumumba, qui commence aussitôt à appliquer à la lettre son programme nationaliste - notamment en africanisant son armée -, inquiète l'ancien colonisateur. Le 5 septembre 1960, le président Kasa Vubu, discrètement soutenu par la Belgique, démet le Premier ministre. Mais le Parlement soutient Lumumba. C'est le début d'un bras de fer. Le 14 septembre, profitant de ce conflit d'autorité, le colonel Mobutu, alors chef d'état-major, fait son premier coup d'Etat. Le Congo entre dans la période la plus trouble de son histoire.
Déjà, le 11 juillet, Moïse Tshombe a proclamé la sécession de la province la plus riche du pays, le Katanga, avec le soutien et la bénédiction de la Belgique, qui a envoyé des troupes au Congo. Lumumba fait appel aux Nations Unies: le Conseil de sécurité décide d'envoyer des Casques bleus à la place des soldats belges. Mais l'ONU, dirigée par le Suédois Dag Hammarskjöld se comporte comme un allié de l'ancien pays colonisateur. Commentant ces événements, De Witte écrit : «Bruxelles et les autres puissances occidentales opérant sous la couverture des Nations Unies voulaient à tout prix renverser le gouvernement nationaliste de Lumumba et installer un régime néocolonial, plaçant ainsi le pays à la merci des trusts et des holdings, qui, depuis des décennies déjà, le dominaient.»
Lumumba, qui n'est pas dupe, décide de rompre avec Hammarskjöld à qui il écrit le 15 août: «Vous avez entièrement acquiescé aux exigences des Belges, formulées par la voix de M.Tshombe. Vu tout ce qui précède, le gouvernement et le peuple du Congo ont perdu leur confiance au secrétaire général des Nations unies.»
Le leader nationaliste devient l'homme à abattre. Le 26 août 1960, avant même que la Belgique ne songe à l'éliminer physiquement, la CIA met sur pied un plan visant à le tuer. Motif: il serait communiste et risquerait de devenir un second Fidel Castro. Puis, le 10 septembre, c'est au tour de Bruxelles de décider de «mettre Lumumba hors d'état de nuire». Les mots sont de Pierre Wigny, ministre des Affaires étrangères du royaume. L'opération «Barracuda» est lancée. Et le 6 octobre, Harold d'Aspremont Lynden, ministre belge des Affaires africaines, exige «l'élimination définitive de Lumumba.»
Quatre jours plus tard, Lumumba est placé en résidence surveillée à Léopoldville. Le plan de la CIA et l'opération «Barracuda» des Belges sont alors annulés. Mais le 27 novembre et contrairement à toute attente, le dirigeant congolais parvient à s'enfuir et cherche à rejoindre ses fidèles à Stanleyville. Les soldats de Mobutu se lancent à sa poursuite. Dès lors, les jours du leader nationaliste sont comptés. Il lui reste à peine plus de cinquante jours à vivre. Sa fuite prend fin le 2 décembre. Et le 17 janvier 1961, il est assassiné au Katanga.
Quel rôle a joué la Belgique dans ces événements? De Witte accuse d'abord l'ONU de n'avoir pas empêché l'arrestation du dirigeant congolais, qui bénéficiait pourtant de l'immunité parlementaire. Ensuite, il accuse la Belgique d'avoir ordonné le transfert de Lumumba et de ses deux proches collaborateurs, Mpolo et Okito, vers le Katanga, ce qui signifiait leur arrêt de mort. Enfin, il dénonce la responsabilité de l'ancienne puissance coloniale, à travers les officiers belges, dans l'exécution du crime.
Quelques semaines après le meurtre de Lumumba, le ministre belge des Affaires étrangères nie toute implication de son pays. Si des Belges y ont pris part, - laisse-t-il entendre à la Chambre belge en février 1961, ils étaient sous les ordres des autorités congolaises et non de Bruxelles: «Ce n'est plus notre Congo, mais le Congo indépendant qui décide de son destin. Ces officiers [belges, ndlr] dépendaient, au point de vue du pouvoir hiérarchique, de l'autorité locale.» C'est ce que soutient Jacques Brassinne dans sa thèse de doctorat confidentielle présentée en 1991. D'après lui, «à aucun moment un officier ou sous-officier belge n'était intervenu dans la liquidation physique.»
De Witte s'oppose catégoriquement à cette version des faits. Selon lui, «la réalité est bien différente.» Il cite à cet effet une note confidentielle du major Weber, un des acteurs belges du drame, dans laquelle ce dernier dira quelques mois plus tard: «1. Je suis officier. Il est évident que si le gouvernement me donne un ordre, je n'ai qu'à m'incliner. 2. J'ai toujours fait savoir que je me considérais ici comme défendant une ‹présence belge› en Afrique.»
Le sociologue belge accuse: «Ce sont bien des conseils belges, des directives belges et finalement des mains belges qui ont tué Lumumba…Le gouvernement belge de Gaston Eyskens est directement responsable de l'assassinat du Premier ministre congolais.» Il ajoute que la Belgique a bénéficié du soutien ou de la complicité de l'ONU et des États-Unis. De Witte accuse par ailleurs les autorités de son pays d'avoir «étouffé» pendant près de quarante ans la vérité: «Une fois le gouvernement Lumumba éliminé, on a essayé d'arracher aux Africains l'histoire même de ce renversement… on a voulu empêcher que sa vie et son travail deviennent une source d'inspiration pour les peuples africains.»
Ilingi: Archives Itimbiri ya Sika; Raoul Peck
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