Le 16 février 1992, plus d’un million de chrétiens de Kinshasa, toutes confessions confondues, sont descendus dans la rue pour réclamer l’ouverture de la Conférence nationale souveraine. Ailleurs dans les provinces les chrétiens on fait de même. À certains endroits leur évêques était même au devant du peuple à la tête de la marche.
Cette action, la première du genre, ébranla les fondements d’une dictature considérée jusque là comme invincible. Par le 16 février les chrétiens Congolais venaient de prouver au yeux du monde qu’ils pouvaient non seulement mobiliser une grande partie de la population, mais pouvaient ainsi précipiter le changement politique dans le pays.
- Son message principal a été la force de la solidarité. Le 16 février, le peuple était coalisé contre la dictature.
- Un autre message était l’unité. De l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, nous étions un. Cette date avait été célébrée un peu partout au pays. Aussi après le massacre des chrétiens, des messages de condoléances et de solidarité sont arrivés de partout au pays.
- Le 16 février a été aussi notre victoire sur la peur. Nous sommes parvenus à sortir de nos égoïsmes pour nous engager dangereusement pour un projet commun qu’était à l’époque la CNS.
La guerre nous a apporté un cortège de misère:
- 16 millions de personnes touchées par ses effets,
- 2,6 millions de déplacés de guerre,
- 500 mille réfugiés,
- 3 millions de morts.
Hier, ce qui nous a caractérisé était le refus de compromission avec un système qui n’avait que mépris pour la valeur de la personne humaine créée à l’image de Dieu. C’est ce refus de l’absurdité qu’était la dictature hier qui devrait s’intensifier aujourd’hui dans notre refus de la folie, l’aberration qu’est la guerre des autres chez nous et ses conséquences. Les initiatives pour mettre fin à celle-ci devraient mobiliser les chrétiens de ce pays déchiqueté, de l’est à l’ouest, du nord au sud. C’est ce enseignement que nous donne l’Église du Congo.
L’enseignement de l’Église du Congo
Dans un contexte comme celui du Congo, notre mission prioritaire est, disent nos évêques, d’aider à la formation d’une nation.
«Amener les individus et les groupes d’origine et de mentalités différentes à devenir et à former réellement une nation. Car là seulement où existe la nation, il peut y avoir des raisons, des causes et un projet de société considérée comme patrimoine commun et pour lesquels les citoyens peuvent exiger et revendiquer avec assurance et détermination un système démocratique de gouvernement et de gestion.»Car c’est seulement là où il y a un patrimoine concret à défendre et à mettre en valeur que l’on peut mobiliser les énergies.
Un certain nombre de questions devraient retenir tout particulièrement l’attention aujourd’hui. Parmi celles-ci, le caractère national des enjeux politiques, promouvoir la solidarité entre les régions, les groupes et les personnes ; cimenter l’unité nationale; renforcer le sens du bien commun. Nous devrions aussi intensifier le travail de vulgarisation des devoirs et des droits des citoyens. Ceci habilitera la population à mieux défendre ses droits et à s’acquitter de ses responsabilités et devoirs. L’épiscopat demande que soit intensifiée dans les communautés chrétiennes jusqu’au fin fond des villages, la formation à une culture démocratique.
L’épiscopat de la République Démocratique du Congo demande encore avec insistance à la population, aux politiciens chrétiens, dans plusieurs de ses dernières lettres, de s’organiser pour contribuer à réorienter le parcours de l’histoire politique du pays.
«Nous nous adressons plus particulièrement à ceux parmi vous qui sont chrétiens. Organisez-vous et entendez-vous pour mettre fin à la souffrance du peuple.» «Aux chrétiens de notre pays, spécialement aux laïcs catholiques, nous demandons de prendre conscience de la nécessité de leur participation active à la prise des décisions qui ont un impact sur la marche de la vie collective. Soyez-y présents en tant que chrétiens et apportez-y la lumière du christ. N’attendez pas la permission des évêques pour vous engager dans la politique et ne leur demandez pas de le faire à votre place. C’est bien là le domaine de votre sanctification.»
Et de rappeler que la mission de la hiérarchie de l’Église n’est pas de définir comment les chrétiens doivent s’organiser.
«Il n’est pas dans le rôle de l’Église de promouvoir des idéologies, de concevoir des stratégies d’action politique, des programmes de gouvernement, de parrainer politiquement des individus ou des groupes pour l’accès ou le maintien au pouvoir (…) Personne non plus au Zaïre ne fait de la « politique » au nom ni pour le compte de l’Eglise.»
Il est cependant dans la ligne droite de sa mission d’aider ceux qui sont engagés à la faire en chrétiens en intensifiant l’explication, l’illustration et l’enseignement sur l’engagement socio-politique.
Conclusion
Le 16 février 1992 aura été un moment de grâce, un moment formidable pour notre peuple. Beaucoup d’entre nous sont fiers d’en avoir été des acteurs. Dix ans après, ayons le courage de faire le bilan.
Le peuple est humilié jusque dans ses sanctuaires . Où sont passés nos prophètes d’hier? On assassine évêques, prêtres, religieux, religieuses, laïcs engagés, simples chrétiens et nos célébrations n’en font pas cas… Où sont passés nos chefs religieux? Et l’on pourrait continuer la liste…
À l’approche du dialogue inter congolais, enjeu majeur pour notre futur, je propose pour méditation cette réflexion du Père Vata:
«Aujourd’hui, il appartient aux vivants, aux témoins des massacres du 16 février, d’honorer la mémoire de ceux qui sont tombés pour le triomphe de la démocratie au Zaïre. ….
La seule façon de nous montrer dignes d’eux, c’est de reprendre le flambeau de la liberté en poursuivant la lutte non-violente qui inclut le dialogue, les moyens pacifiques de pression, la prière et le pardon pour l’instauration d’un Etat de droit et d’une société vraiment démocratique au Zaïre.
La Plus grande insulte que nous ferions aux victimes de la marche d’espoir », serait d’en faire – par le biais d’un oubli coupable- des morts inutiles, des défunt anonymes…Il nous faudra donc aujourd’hui, demain, après demain et toujours…nous souvenir ».
par le père Rigobert Minani Bihuzo s.j
Un témoinage du 16 février 1992 a été publié quatre jours après dans ces colonnes.
Itimbiri ya Sika – le 14 février 2002
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